qu'est-ce-que le consciencisme? selon Kwamé Nkrumah
Le panafricanisme qui est une lutte contre la domination des noirs américains et des antillais, fut l’œuvre de Edward Blyden, Henri William, Marcus Garvey, William Dubois, George Padmore. Cette lutte pour l’émancipation des noirs, était dans ses origines réservée à un groupe de noirs résidents hors de l’Afrique. Sous l’initiative de Padmore et de Nkrumah, le panafricanisme en Afrique deviendra une lutte pour l’indépendance des peuples africains. Dans son souci de créer une unité africaine et une rupture avec les anciens colons, Kwame Nkrumah fut confronté à l’incompréhension et à la réticence de ses frères africains. Son rêve du continentalisme voué à l’échec va faire place au consciencisme qu’il se consacra à développer dans son œuvre le consciencisme. A la question de savoir qu’est-ce que le consciencisme ? Nous orienterons notre réflexion sur deux axes : quelles sont les définitions que nous pouvons donner du consciencisme en nous inspirant de ce que Nkrumah a dit ? Et en quoi le consciencisme constituerait un obstacle à l’émancipation de l’Afrique ?
Premièrement, « le consciencisme est l’ensemble en termes intellectuels, de l’organisation des forces qui permettrons à la société africaine d’assimiler les éléments occidentaux, musulmans et euro-chrétiens présents en Afrique et de les transformer de façon qu’ils s’insèrent dans la personnalité africaine. »[1]. En effet, cette définition montre que le consciencisme de manière théorique touche le domaine de la connaissance et du raisonnement. L’implication du travail intellectuel est une sorte d’introspection que les africains doivent faire afin de mieux connaitre leur état et envisager une possibilité de changement ou d’amélioration. Le consciencisme vient comme une solution pour libérer les africains. Le changement ne sera possible grâce à une étude sur l’histoire, car l’histoire met en exergue le passé et envisage l’avenir dans un but d’amélioration de ce qui crée un obstacle à l’épanouissement de l’Afrique. C’est pourquoi, on pourra traduire le consciencisme comme l’ensemble des principes humanistes sur quoi repose la société africaine traditionnelle.
Deuxièmement, « le consciencisme est une philosophie matérialiste »[2]. En effet, c’est repenser les réalités de l’Afrique en fonction de l’histoire. C’est ramener la pensée au monde sensible, sur ce qui est concret, ce qui est réel. C’est éviter au consciencisme d’être une philosophie spéculative, mais de toucher du doigt ce que les africains vivent réellement. Cette direction de l’esprit n’est possible que par une dialectique qui fait abstraction de l’état réel en le soumettant à l’exercice de la raison afin de trouver des solutions concrètes aux difficultés des africains.
Troisièmement, « La philosophie appelée « consciencisme » est celle qui, partant de l’état actuel de la conscience africaine, indique par quelle voie le progrès sera tiré du conflit qui agite actuellement cette conscience »[3]. En jetant un regard de la dialectique sur l’aspect social, Nkrumah, part de l’aspect réel, ce qui est jeté devant nos yeux, ce qui constitue le premier obstacle sur la cohabitation même entre les membres d’une même société, une même tribu. En effet cet aspect partant de « l’état actuel de la conscience africaine », est un regard purement matérialiste sur les réalités africaines. C’est une philosophie qui veut toucher du doigt tout ce qui constituerait une difficulté pour l’homme africain. Ici l’homme africain constitue en lui seul l’être qui doit se découvrir, se comprendre et se connaitre. L’Africain est pris dans son authenticité culturelle, dans sa relation avec ses frères, dans sa relation avec Dieu. En d’autres termes, « le consciencisme traite chaque être comme une fin en soi, et non comme un simple moyen. L’homme est unique, tous les hommes ont le même fondement, une même origine »[4]
Quatrièmement, « le consciencisme propose une théorie politique et une pratique socio-politique qui ensemble, tentent d’assurer le respect des principes fondamentaux de la morale » et aussi, « le consciencisme cherche à développer l’individu de sorte qu’il soit dans l’épanouissement. »[5]. En effet le but recherché par le consciencisme c’est l’épanouissement de l’africain dans ses relations avec le monde. La décolonisation prônée dans cette idéologie n’est rien d’autre que l’application du projet de liberté africaine. Mais ce projet n’est possible que par une intériorisation des principes établis par les africains. Le principe de la morale est un canevas qui permettra aux africains de contrôler leur comportement entre eux-mêmes surtout entre eux et les autres c’est-à-dire les autres peuples qui sont en dehors de l’Afrique.
Le consciencisme se veut une théorie de salut pour l’Afrique, cependant, les circonstances qui ont conduit à la réflexion du consciencisme et la recherche de souveraineté des Etats constitueraient des obstacles à l’application de cette théorie philosophique.
D’abord, le consciencisme est né de l’échec de la réalisation du rêve de Kwame Nkrumah qui est le continentalisme. En effet voyant la lutte pour l’indépendance se concrétiser, Nkrumah avait l’esprit trop en avant dans la réalisation de l’unité africaine où il envisageait d’être à la tête. Ses chances furent anéanties et il décide comme consolation de faire comprendre l’échec de son rêve en se cachant sous sa théorie le consciencisme. Plus clairement s’il avait pensé le consciencisme avant d’entamer son projet de l’unité africaine, il aurait eu suffisamment d’argument pour défendre son rêve.
Ensuite, la balkanisation déjà existante, chaque membre dans son Etat envisageait de gouverner aussi un jour le territoire une fois l’indépendance acquise. La plus part des dirigeants qui ont mené la lutte en Afrique furent formé à l’école coloniale où les principes de la recherche du profit étaient enseignés. Les colonisateurs formaient les cadres en fonction de la docilité et de la coopération qu’ils devraient entretenir avec eux. L’homme africain cultivait le désir de gouverner un jour lui aussi, comme c’est le cas avec la gouvernance royale où le roi est tout puissant. Cette gouvernance est ancrée dans nos traditions et coutumes, favorisant un blocus psychologique dans l’ouverture au monde ou à une autre vision de gouvernance.
En plus, chaque peuple garde sévèrement sa tradition dans un emmurement allant même à la mystification des coutumes. L’on devrait passer par une initiation pour envisager gouverner ou avoir la parole. Devant cette réalité quoi de plus normale que le Libéria ait voulu la non-ingérence dans les affaires des Etats. L’Afrique n’était pas encore disposée à se détacher de ce qu’on lui a fait croire. Le principe de la délimitation des territoires est la première problématique qui doit disparaitre dans l’esprit de l’africain car les frontières sont vues comme des murs d’une case où tous ceux qui sont à l’intérieur sont des personnes uniques et en dehors d’eux la vie n’y est plus. Et chaque membre dans un Etat se voit supérieur aux membres d’un autre Etat. Les frontières qui sont en générale des lignes imaginaires constituent des obstacles psychiques à l’ouverture vers l’extérieur. Avant de penser au consciencisme qui prône le matérialisme, il faudrait détruire les barrières psychologiques de la balkanisation.
Enfin, est-il que le consciencisme par ces termes reste une théorie limitée à un groupe d’individus ayant un niveau supérieur d’étude. C’est une théorie qui ne peut se transmettre aux bas âges ni dans la rue pour ceux qui n’ont jamais mis les pieds à l’école. Alors que nous savons que l’éducation africaine est une éducation basée sur la vie pratique. Le consciencisme porte en lui trop de termes métaphysiques qui requièrent une bonne connaissance de base avant de les aborder. En effet comment expliquer à la population majoritairement moins instruite le bien fondé du consciencisme ? Devant la misère, la faim, la pauvreté, l’africain a d’autres préoccupations sur comment résoudre à l’instant la difficulté qui se présente à lui chaque jour. Le consciencisme demande un exercice de réflexion qui a besoin du temps et de la patience, ce qui semble être difficile pour l’africain qui est chaque jour à la recherche de son pain quotidien. Le consciencisme pour trouver un écho favorable chez l’africain d’aujourd’hui, doit s’atteler à résoudre les besoins directs et concrètes de la pauvreté.
Au terme de notre étude, nous avons donné des définitions du consciencisme à partir de ce que Kwame Nkrumah a développé dans son œuvre le consciencisme, en montrant particulièrement que le consciencisme est une théorie matérialiste et une théorie dialectique. D’autre part, nous avons apporté des limites à l’aboutissement du consciencisme à l’épanouissement de l’africain, en nous inspirant du fait que le consciencisme est issu d’une déception et en montrant que le consciencisme est réservé à un groupe de personne ayant une formation scolaire enrichie. Pour notre part, le consciencisme n’est qu’une philosophie inspirée du matérialisme : il tire sa source dans une théorie qui existe déjà. Le consciencisme n’est pas le fruit d’une monade qui a en son sein la capacité de se déployer elle seule. Le consciencisme est analogue à la philosophie matérialiste.